Réflexions du pasteur Jean-Baptiste Lipp, président de la Conférence des Eglises réformées de Suisse romande, lors de la rencontre du Forum chrétien romand à Leysin. 11 octobre 2021.

Vous me croirez ou ne me croirez pas, mais je préfère que vous me croyez : si je n’avais pas les fonctions qui sont les devenues les miennes au Conseil synodal de l’Église évangélique réformée du Canton de Vaud (EERV) et à la présidence de la Conférence des Églises (réformées) Romandes, je serais l’un des vôtres en continu, depuis hier et jusqu’à mercredi. Soit dit en passant, merci à celles et ceux qui ont cru, prié et œuvré pour que ce Forum ait lieu malgré tout, alors qu’il était encore dans les limbes au mois de juillet…

S’il n’y avait, dans mon agenda, des séances à Lausanne et à Strasbourg, j’aurais donc été le 66ème participant régulier au Forum Chrétien Romand de Leysin, dont j’avais noté les dates bien à l’avance, espérant y participer… Pour une raison institutionnelle, d’abord. En effet, la Conférence des Eglises Romandes était partie prenante, de manière assez officielle, au Forum de Lyon, en 2018, d’où est née l’idée de mettre sur pied le Forum que vous vivez.

L’autre raison est plus personnelle. Je vis l’oecuménisme au quotidien au sein d’un couple mixte, puisque ma femme est catholique… Je le vis au sein de ma fratrie, puisque l’une de mes sœurs et sa famille fréquentent une assemblée évangélique… Mais surtout, surtout je le vis de manière multilatérale au cœur de mon ministère de pasteur réformé. Je dis bien au cœur de ce ministère, et non en marge. Et je vais vous dire pourquoi.

Lorsque j’étais pasteur à Fribourg, dans les années 90, – c’était dans une autre vie, – il y avait deux lieux d’œcuménisme pour les responsables d’Eglises, et non un seul. D’un côté la Commission œcuménique qui réunissait les représentants catholiques (majoritaires), réformés et orthodoxes autour des projets de la Semaine de l’Unité au mois de janvier et, par la suite, du Jeûne fédéral au mois de septembre. Cette Commission, bilingue, réunissait les Eglises dites « historiques » (comme si les autres n’avaient pas aussi une histoire).

Mais il y avait, en parallèle, officieusement, un autre groupe qui réunissait des responsables d’Eglise évangéliques : réveil, adventiste, GBU alémaniques, les VBG, tenus par deux catholiques un peu évangéliques, et puis moi, le réformé de service. Et l’on se réunissait aussi pour des raisons d’encouragement au témoignage commun. Cherchez l’erreur : deux lieux œcuméniques, et non un seul, comme cela se fait dans d’autres villes comme Nyon, ou encore ici, au Forum chrétien…

Pourquoi vivre un « œcuménisme des grands », d’un côté, et un autre « œcuménisme des petits », de l’autre ? Ne sommes-nous pas tous petits, même lorsque nous sommes majoritaires ? Il a fallu que le pasteur de l’église du Réveil nous informe de son projet de faire venir une exposition de la Société Biblique Suisse à Fribourg pour que je lui dise : « Beau projet. Mais pas sans les cathos, mais pas sans les orthodoxes ! »

C’est impossible, c’est impensable de promouvoir nos communes Saintes Ecritures sans le faire avec l’Eglise catholique, et même avec la Faculté de théologie de cette ville universitaire. L’Expo a donc eu lieu. Non pas émanant du petit groupe œcuménique seulement, mais avec les autres. Et c’est ainsi que j’ai collaboré avec un jeune prêtre du nom de Alain de Raemy, aujourd’hui évêque auxiliaire du diocèse de LGF…

Cette histoire est à la fois anecdotique et emblématique. Je ne vous la livre pas pour vous raconter les souvenirs d’un vieux combattant convaincu. Je l’ai choisie pour vous encourager à vivre un œcuménisme multilatéral, et non bilatéral. Car enfin, s’il reste vrai que les dialogues d’une confession à l’autre sont de la plus grande importance, on ne saurait, aujourd’hui, dans la situation qui est la nôtre, de se contenter de jouer la partition œcuménique en duos.

A cet égard, je salue le livre à trois plumes de mes amis Claude Ducarroz, catholique, Noël Ruffieux, orthodoxe et Shaffique Keshavjee, réformé. Mais je me dis aussi, et devant vous : à quand ? A quand un livre à quatre, cinq, six ou sept plumes, intégrant un théologien évangélique, un adventiste, un méthodiste, un anglican, un catholique-chrétien, un pentecôtiste, etc… ? Peut-être que ce livre naîtra de votre cheminement ici, à Leysin…  Comme est née l’initiative trilatérale d’un commentaire biblique hebdomadaire sur le net, intitulé Evangile à l’écran, pris en charge par des personnes de confession catholique, réformé et évangélique, sur le net. Bravo et merci à Vincent Lafargue et à ses co-fondateurs !

Pour terminer ce mot d’accueil, qui se veut plutôt une exhortation, vous dire pourquoi, de mon point de vue, nous devons impérativement aller de l’avant ensemble, et de manière multilatérale, dans la moisson du Seigneur. Non pas seulement parce que ce serait plus sympa de vivre de manière multilatérale, et non plus bilatérale ou trilatérale, l’exigence œcuménique voulue et priée par le Christ en Jean 17.

Non pas seulement pour cette raison, qui pourtant constitue en elle-même une raison nécessaire et suffisante… (Je dirais même plus, une obéissance œcuménique à la suite de Jésus.) La raison pour laquelle nous sommes conviés, convoqués, condamnés à travailler ensemble est une raison missiologique. Finies, les Eglises historiques et non historiques ! Nous avons tous une histoire. Finies les Eglises majoritaires et minoritaires ! Nous sommes tous minoritaires dans cette société, quelle que soit l’histoire que l’on se raconte (du genre de celle que se racontait il n’y a pas si longtemps mon Eglise, comme « Eglise du peuple vaudois tout entier » !). Finies, les Eglises fidèles ou compromises. Nous sommes tous à la fois fidèles et infidèles à quelque chose, pourvu que ce ne soit pas au Christ, au Père et à l’Esprit Saint.

La seule raison de continuer de faire de l’œcuménisme, et de vivre en régime œcuménique, est une raison missiologique. C’est parce que nous vivons dans le même monde, la même pandémie, les mêmes défis sociaux, que nous sommes appelés à y être témoins ensemble. Il y a une vingtaine d’années, le pasteur Jean Arnold de Clermont, alors président de la Fédération Protestante de France, le disait comme une prophétie : « Si nous ne travaillons pas ensemble, c’est ensemble que nous serons laminés. »  

« Si nous ne travaillons pas ensemble, c’est ensemble que nous serons laminés. » Je le crois, plus que jamais. Je le vois, plus que jamais. Les Réformés, que je représente ici, ne sont plus trans-missionnaires comme nous l’étions encore il y a quelques temps : baptêmes, confirmations, mariages, enterrements… Le bon vieux système arrive en bout de course et s’essouffle. Nous allons clairement vers un effondrement, et cet effondrement a commencé. Je viens d’apprendre que la moitié seulement des enfants qui nous étaient encore confiés reprennent une activité pour l’enfance dans nos paroisses de l’EERV…   

Nous ne sommes plus trans-missionnaires. Nous ne voulons pas trop être missionnaires (ce n’est pas vraiment dans notre ADN). Nous allons peut-être même disparaître. Sauf… Sauf si nous reprenons la mission avec d’autres Eglises : catholique, orthodoxe, évangélique, pentecôtiste, et je n’allongerai pas ici la liste des confessions que vous représentez. Et si vos Eglises pensent pouvoir continuer sans les autres, cela durera un temps, deux temps, mais pas tout le temps. A ce propos, je vous laisserai découvrir ma lecture missiologico-oecuménique de l’appel des quatre premiers disciples de Jésus, et que j’ai renommés ainsi : Petrus, Andrej, Johannes et Jack…  Une feuille est à disposition pour vous sur la table à la sortie.

Merci de votre attention aux enjeux missionnaires de l’œcuménisme ! Et que ce Forum soit béni.            

Tiré de « En chemin d’unité. Actes du Forum chrétien romand ».

« En Chemin d’Unité » – Les Actes du Forum chrétien romand

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