Par Martin Hoegger
Accra, 19 avril 2024. Le guide nous a avertis : l’histoire de Cape Coast – à 150 km d’Accra – est triste et révoltante ; nous devons être forts pour la supporter psychologiquement ! Cette forteresse construite au 17e siècle par les Anglais a reçu la visite des quelque 250 délégués au Forum chrétien mondial.
Nous visitons les souterrains, certains sans lucarnes, où s’entassaient des esclaves en transit vers les Amériques. Quel contraste avec la grande salle du gouverneur avec neuf fenêtres et sa lumineuse chambre à coucher avec cinq fenêtres ! En dessus de ces sombres lieux une église anglicane construite par la « Société pour la propagation de l’Évangile ». « Où l’on chantait alléluia, alors que les esclaves criaient leur souffrance en dessous », précise notre guide !
Le plus troublant est la justification religieuse de l’esclavage. Outre l’église de la forteresse et la cathédrale méthodiste à quelques centaines de mètres, voici cette inscription en hollandais en haut d’une porte, dans une autre forteresse située pas loin de la nôtre que me montre un participant qui l’a visitée : « Le Seigneur a choisi Sion, il a désiré en faire son habitation » Qu’a voulu dire celui qui a écrit cette citation du Psaume 132, verset 12 ? Une autre porte a l’inscription « porte du non-retour » : emmenés vers les colonies, les esclaves perdaient tout : leur identité, leur culture, leur dignité !
Pour marquer les 300 ans de la construction de ce fort, l’African Genesis Institute a posé une plaque commémorative avec cette citation d’un passage du livre de la Genèse : « (Dieu) dit à Abram : Sache que tes descendants séjourneront en immigrés dans un pays qui n’est pas le leur ; ils y seront esclaves, et on les affligera pendant quatre cents ans. Mais je jugerai la nation dont ils auront été les esclaves, et ils sortiront ensuite avec de grands biens.» (15,13-14)
Dans la cathédrale méthodiste de Cape Coast
La question qui m’habitait en entrant dans cette cathédrale contemporaine de la traite des noirs, est posée par Casely Essamuah, le secrétaire général du FCM : « où est-ce que ces horreurs continuent aujourd’hui ? »
Une « prière de lamentation et de réconciliation » est ensuite conduite en présence de l’évêque méthodiste local. Ce verset du psaume 130 donne le ton à la célébration : « Des profondeurs, nous crions vers toi. Seigneur, écoute ma voix » (v.1). La prédication est apportée par Merlyn Hyde Riley, de l’Union baptiste de la Jamaïque, et vice-présidente du comité central du Conseil œcuménique des Églises. Elle s’identifie comme une « descendante de parents esclaves ». A partir du livre de Job, elle montre que celui-ci proteste contre l’esclavage, avec comme principe fondamental la défense de la dignité humaine, envers et contre tout. L’inexcusable ne peut être excusé, ni l’injustifiable justifié. « Nous avons à reconnaître nos échecs et à nous lamenter comme Job, et à réaffirmer notre humanité commune, créée à l’image de Dieu », dit-elle.
Ensuite, Setri Nyomi, secrétaire général par intérim de la Communion mondiale des Églises réformées, avec deux autres délégués d’Églises réformées, rappellent la confession d’Accra publiée en 2004, qui a dénoncé la complicité des chrétiens avec l’injustice. « Cette complicité continue et nous appelle à la repentance aujourd’hui ».
Quant à Rosemarie Wenner, évêque méthodiste allemande, elle rappelle que Wesley a pris position contre l’esclavage. Cependant, les méthodistes se sont compromis et l’ont justifié. Pardon, repentance et restauration sont nécessaires : « Le S. Esprit nous conduit non seulement à la repentance mais aussi à la réparation », précise-t-elle.
La célébration était rythmée par des chants, dont le très émouvant « Oh freedom », composé par un esclave des plantations de coton en Amérique :
Oh, liberté / Oh, liberté / Oh liberté sur moi
Avant que je sois un esclave / Je serais enterré dans ma tombe
Et rentré à la maison vers mon Seigneur en étant libre
Échos à la visite de Cape Coast
Cette visite a marqué la rencontre du FCM. Plusieurs orateurs ont exprimé par la suite l’impression qu’elle leur a faite. Flávio Pace, secrétaire du Dicastère pour la promotion de l’unité des chrétiens (Vatican), relate que durant la semaine sainte, il a prié à l’endroit où Jésus était enfermé, sous l’Eglise S. Pierre en Gallicante, à Jérusalem, avec le psaume 88 : « Tu m’as mis tout au fond du gouffre, dans l’obscurité profonde » (v. 7). Il a pensé à ce psaume dans la forteresse des esclaves. « Nous devons travailler ensemble contre toute forme d’esclavage, témoigner de la réalité de Dieu et apporter le pouvoir réconciliateur de l’Évangile », dit-il
Méditant sur la « voix du bon berger » (Jean 10), Lawrence Kochendorfer, évêque luthérien, au Canada, dit : « Nous avons été témoins des horreurs de Cape Coast. Nous avons entendu les cris des esclaves. Aujourd’hui, il y a de nouveaux esclavages où d’autres voix crient. Au Canada, des dizaines de milliers d’Indiens ont été enlevés de leur famille dans des pensionnats religieux. Ces voix s’élèvent aussi et crient justice. Quels cris entendons-nous dans notre contexte local ? » Nous avons à faire silence pour les écouter, comme nous avons à écouter la voix du bon berger qui apporte guérison, justice, restauration. Une voix très différente des voix qui défigurent la dignité humaine.
Au lendemain de cette visite inoubliable, Esmé Bowers, de l’Alliance évangélique mondiale, s’est réveillée avec un chant au cœur écrit par un capitaine de navire transportant des esclaves : « Amazing Grace ». Converti au Christ, il est devenu par la suite un ardent combattant contre l’esclavage.
Ce qui a le plus touché Michel Chamoun, évêque syriaque orthodoxe au Liban, durant ces jours de Forum, est cette interrogation : « Comment a-t-il été possible de justifier ce si grand péché de l’esclavage ? » Chaque esclave est un être humain avec le droit de vivre dans la dignité et destiné à la vie éternelle par la foi en Jésus. La volonté de Dieu est que nous soyons tous sauvés. Mais, il y a aussi une autre forme d’esclavage : être prisonnier de son propre péché. « Refuser de chercher le pardon de Jésus met dans une situation terrible, car cela a des conséquences éternelles », affirme-t-il.
Daniel Okoh, de l’organisation des Églises africaines instituées, voit dans l’amour de l’argent la racine de l’esclavagisme, comme de toute iniquité. Si nous sommes capables de le comprendre, nous pourrons demander pardon et nous réconcilier.
Pour le théologien évangélique indien Richard Howell, le système perdurant des castes en Inde nous conduit à réaffirmer avec force la vérité de l’être humain créé à l’image de Dieu, selon le premier chapitre de la Genèse. Aucune discrimination n’est alors plus possible. C’est à cela qu’il a pensé en visitant Cape Coast.
Chers lecteurs, comme on nous a exhortés à raconter ce que nous avons vu dans cet horrible endroit et vécu ensuite dans la cathédrale de Cape Cost, je vous ai livré ce moment marquant de la quatrième rencontre mondiale du Forum chrétien, avec les réflexions qu’il a suscitées.
Message du 4e rassemblement mondial
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