Septembre 2020 – Quelques réflexions
La discussion lors de la conférence virtuelle du comité du Forum chrétien mondial (FCM) du 3 septembre a clairement démontré le désir du comité de maintenir ensemble l’unité et la mission comme vocation principale du Forum chrétien mondial. Ainsi, le comité a été fidèle à la déclaration d’intention qui a guidé le Forum depuis sa création.[1]
La discussion a également montré clairement que deux questions fondamentales doivent être approfondies :
1. En termes d’unité, quel est le rôle spécifique du Forum, et quelle est la contribution spécifique qu’il peut apporter à la recherche de l’unité des chrétiens dans le mouvement œcuménique au sens large ?
2. Dans le domaine de la mission, ou du témoignage commun, que peut offrir le Forum au témoignage des Églises dans le monde sans faire ce qui est déjà fait par les nombreuses organisations inter-ecclésiales existantes (oecuméniques, évangéliques, confessionnelles) auxquelles appartiennent les Églises participant au Forum ?
Unité
Une réflexion est en cours au sein et au-delà du mouvement œcuménique sur la nature de l’unité. Si l’impératif biblique (Jean 17,21) est admis par tous, les opinions divergent sur la légitimité des divisions et sur la manière dont l’unité doit se manifester. Des expressions telles que « unité visible », « unité organique », « unité des chrétiens », « unité dans la diversité », « unité spirituelle » indiquent un large éventail d’interprétations et d’options, qui ont toutes des implications pour les efforts faits – ou non – pour favoriser l’unité des Églises.
Dans les Églises engagées dans le mouvement œcuménique, on peut également observer une certaine lassitude par rapport à la lenteur des progrès dans le domaine de la théologie et de la doctrine ; ou, lorsque des progrès sont réalisés (par exemple sur le baptême, l’eucharistie et la mission), l’impact tangible et durable sur la vie des Églises peut sembler modeste. Parmi les dirigeants d’Églises et les théologiens qui continuent à donner une orientation à la recherche de l’unité, cela a conduit à l’élaboration de nouveaux modèles, tels que l’œcuménisme réceptif ou l’œcuménisme spirituel, qui sont moins directement axés sur le dépassement des controverses doctrinales.
Une autre tendance, qui a également été soulignée lors de la discussion du comité du 3 septembre, est de considérer que nous sommes entrés dans une nouvelle étape de l’œcuménisme, dans laquelle les différences théologiques ne sont plus la préoccupation première. Dans cette optique, l’accent devrait être mis sur le témoignage commun au monde. Cela pourrait en effet donner un nouvel élan au mouvement oecuménique et être une source de renouveau, si le témoignage partagé est vraiment conçu par les Églises comme un défi exigeant et coûteux.
Dans la pratique, cependant, l’œcuménisme est aujourd’hui compris dans de nombreuses situations locales comme une coexistence amicale, au mieux fraternelle, d’Églises de traditions différentes qui coopèrent volontiers mais restent néanmoins divisées.
Les différents points de vue et attitudes à l’égard de l’unité sont tous présents au sein du Forum chrétien mondial, dans le comité ainsi que parmi les participants aux réunions du Forum. C’est en soi une raison suffisante pour poursuivre la discussion théologique sur l’unité, l’approfondir et favoriser la compréhension mutuelle.
Mais le Forum a la capacité d’être plus qu’une plate-forme de réflexion sur l’unité. Il a la particularité de réunir pratiquement toutes les traditions du christianisme mondial actuel – tant les Églises participant au mouvement œcuménique que celles appartenant aux mouvements évangélique et pentecôtiste.
Il n’existe aucune autre configuration inter-églises mondiale qui soit capable de le faire tout à fait de la même manière que le Forum, et dans le même but : favoriser l’unité et le témoignage commun. C’est cette spécificité du Forum qui détermine le rôle qu’il est appelé à jouer et la contribution qu’il est appelé à apporter dans la poursuite de l’unité des chrétiens. Il s’agit de réunir les Églises appartenant aux deux courants, œcuménique et évangélique/pentecôtiste, qui se sont divisés depuis plus d’un siècle, et de favoriser leur rapprochement dans les différents contextes et aux différents niveaux où ils fonctionnent.
Le Forum chrétien mondial a vu le jour à un moment de kairos où les deux parties ont pris conscience que le temps était venu de surmonter les divisions du passé. Il serait erroné de croire qu’il s’agissait d’une première tâche, d’un premier pas pour ainsi dire, qui, après vingt ans, est maintenant pratiquement achevée. C’est peut-être vrai pour le comité du Forum, et d’ailleurs, diverses affirmations lors de la discussion du 3 septembre ont témoigné avec gratitude du niveau de confiance qui existe.
Mais ce n’est pas le cas dans de nombreuses situations, que ce soit au niveau des grandes régions[2] ou dans de nombreuses situations nationales et locales. Comme l’a également souligné la discussion, la peur et l’ignorance sont encore très présentes, et l’on pourrait aussi ajouter la méfiance et le rejet mutuels. L’aliénation, l’exclusion et l’hostilité ont profondément affecté les relations entre les Églises établies et les mouvements évangélique et pentecôtiste.
Ce serait également une erreur de sous-estimer la profondeur et la douleur de la division, tant en termes d’histoire que de réalités actuelles. Heureusement, il est également vrai qu’aujourd’hui, les dirigeants des Églises et les fidèles des deux parties font preuve de plus de bonne volonté et d’ouverture les uns envers les autres qu’il y a seulement quelques décennies.
Concrètement, le Forum a donc pour vocation d’identifier les contextes régionaux et nationaux dans lesquels un commencement devrait être fait, où il faudrait faire davantage pour rassembler les entités œcuméniques et évangéliques/pentecôtistes existantes, par exemple les Églises, les conseils, les conférences, les alliances, les communautés, etc. Les consultations régionales sont le moyen le plus efficace dont dispose le Forum pour y parvenir.
Le Forum chrétien mondial n’a pas la capacité de fonctionner de manière adéquate au niveau national, et encore moins au niveau local. En réunissant des représentants des organismes régionaux et des Églises d’un certain nombre de pays dans une région donnée, en leur offrant l’expérience du Forum grâce aux outils de la représentation égale (50/50) et de la narration des itinéraires de foi, la vision du Forum peut imprégner le contexte national. Comme nous l’avons déjà indiqué, il en existe des exemples dans plusieurs pays.[3]
Les consultations régionales doivent bien sûr être préparées et organisées en coopération étroite avec les conseils ou conférences œcuméniques régionaux existants, les alliances évangéliques, les conférences épiscopales, etc. Comme la dernière série de réunions de ce type a eu lieu il y a dix ans, il sera d’une importance cruciale de repérer la nouvelle génération de dirigeants d’Églises qui sont entrés en fonction et qui ne connaissent pas le Forum chrétien mondial.
Il y a encore un autre aspect du rôle et de la contribution du Forum en ce qui concerne l’unité. Il se résume à la question qui a toujours accompagné le FCM dans ses étapes successives : « qui manque autour de la table »? Si, en effet, « un large éventail d’Églises chrétiennes et d’organisations interconfessionnelles » (déclaration d’intention) y participe, il y a encore des groupes qui ne sont pas, ou pas suffisamment, représentés.
Du côté œcuménique, c’est le cas en particulier de la famille orthodoxe, comme cela a également été souligné lors de la discussion du 3 septembre. Cela demande un effort ciblé du Forum pour favoriser l’intérêt des Églises orthodoxes et leur participation à celui-ci. Par exemple, la priorité pourrait être donnée à la tenue de consultations dans des (sous-)régions telles que l’Europe de l’Est et le Moyen-Orient où l’orthodoxie est historiquement enracinée et constitue la majorité. Et dans les régions où les Églises orthodoxes sont minoritaires, par exemple en Amérique latine, leur participation devrait faire l’objet d’une attention particulière, notamment parce que l’orthodoxie, en tant que famille d’Églises, ne dispose pas de ses propres structures régionales représentatives.
D’autre part, certaines des grandes dénominations classiques pentecôtistes et évangéliques de diverses régions ne participent pas pleinement au Forum, ou n’y participent pas du tout. Des efforts similaires sont nécessaires pour renforcer leur participation. Dans le monde évangélique et pentecôtiste en constante évolution, des groupes plus récents tels que les néo-pentecôtistes, les grandes Églises néo-charismatiques (par exemple en Afrique de l’Ouest), les nouvelles Églises émergentes, les méga-Églises également, sont restés largement en dehors du champ du FCM.
Ici aussi, une approche intentionnelle est nécessaire pour mettre autour d’une table ces nouvelles expressions de la présence chrétienne. Une question particulièrement difficile et problématique est celle des évangéliques radicalisés (États-Unis, Brésil) qui promeuvent des positions morales et politiques de manière à rendre tout dialogue pratiquement impossible. Que cela soit traité ou non, cela fait partie de la vocation du FCM d’élargir le cercle des groupes évangéliques et pentecôtistes participant aux efforts du Forum vers l’unité des chrétiens, et il est particulièrement bien placé pour le faire.
La contribution du FCM à l’unité est loin d’être mineure, comparée à ce qui est fait par exemple par la Commission Foi et Constitution du Conseil œcuménique des Églises (COE) ou dans les dialogues théologiques bilatéraux entre les participants aux Communions chrétiennes mondiales. Au contraire, il suffit d’examiner les statistiques du christianisme mondial pour en constater l’importance.
Aujourd’hui, les évangéliques et les pentecôtistes comptent pour un quart, contre moins de deux pour cent il y a environ un siècle ; les chiffres représentés au sein du COE constituent un autre quart et les catholiques l’autre moitié. Traverser les clivages et guérir les divisions qui séparent ces parties d’un même corps est une tâche majeure. L’objectif n’est pas de faire en sorte que l’un rejoigne l’autre, mais de s’ouvrir les uns aux autres et d’aller ensemble vers ce qui sera nouveau.
Mission
Dans la première phrase de l’énoncé de l’objectif du FCM, maintenir ensemble l’unité et la mission, est exprimé dans les expressions « favoriser le respect mutuel » et « explorer et relever ensemble les défis communs« . Au stade initial du Forum, et dans les années qui ont suivi, il y a eu une réticence considérable à reprendre la partie « mission » de la déclaration. Le concept de « défis communs » était principalement compris en termes de questions potentiellement controversées.
On a estimé que les relations étaient encore trop fragiles pour prendre le risque d’entrer dans des discussions où des désaccords pourraient conduire à une rupture du processus, en particulier du côté évangélique et pentecôtiste. Cela pourrait également fournir un argument contre toute implication de ceux qui ont été invités à se joindre au processus mais qui ont choisi de se tenir à l’écart. L’accent a donc été mis sur l’établissement de relations et le développement de la confiance mutuelle.
Des questions ont été soulevées lors des consultations et des réunions et ont été, dans une certaine mesure, discutées, notamment des questions comme l’évangélisation et le prosélytisme, les valeurs morales, les relations avec les autres religions, etc. mais on a pris soin de ne pas aller plus loin. Les désaccords ont simplement été notés. Lors de certaines réunions, des suggestions ont été faites pour que le Forum traite des questions auxquelles les Églises sont confrontées dans leur témoignage ; il a toutefois été considéré que ce n’était pas son rôle, car le FCM n’était pas censé devenir opérationnel.
Lors du deuxième rassemblement mondial (à Manado en 2011), les participants ont affirmé que la confiance mutuelle était désormais suffisante pour que le Forum passe à l’étape suivante. Ils ont déclaré dans la prière : » Nous avons entendu l’Esprit qui nous appelle, non seulement à promouvoir le respect les uns pour les autres, mais maintenant aussi à avancer ensemble en abordant des défis communs« .[4] Le Forum de Manado a clairement déclaré que « le FCM devrait continuer à établir des relations en organisant des rassemblements périodiques » et que « l’unité expérimentée dans le partage des itinéraires de foi prouve que nous sommes des agents de la mission de Dieu, appelés et envoyés par le même Seigneur Jésus-Christ, et poussés par le même Esprit Saint« .[5]
Le rassemblement de Manado a donc donné l’impulsion nécessaire pour aborder la question de l’unité et de la mission, ou pour la mettre dans la formulation de la deuxième partie de la déclaration d’intention : « favoriser les relations qui peuvent conduire à un témoignage commun« .
Comme le Forum contribue à rapprocher les organismes œcuméniques et évangéliques ainsi que les organismes pentecôtistes dans les principales régions du monde et dans les situations nationales, ces Églises, conseils, conférences et alliances peuvent – espérons-le – en arriver à un point où ils considèrent que l’action commune et la coopération sont souhaitées et deviennent possibles.
Ces partenaires décideront alors de la ou des formes que devront prendre leurs actions, des défis communs à relever et de la manière de les relever, en fonction de leurs priorités et dans le contexte de la région ou de la nation qu’ils partagent. Que ce soit sur l’évangélisation, l’action sociale ou les grands enjeux contemporains comme le racisme, les droits de l’homme, la paix, l’environnement, leur rapprochement permettra d’améliorer et de renforcer leur témoignage chrétien. La compétence théologique, l’expertise et l’expérience dans tous ces domaines existent des deux côtés, mais les dons diffèrent. Il sera bénéfique pour tous de les mettre ensemble.
Dans ce même esprit, Manado a également encouragé la tenue de « forums destinés à des ministères spécialisés (p. ex. de réconciliation, de guérison, de justice, etc.) ».[6] Rassembler des personnes d’origine œcuménique et évangélique dans une région (ou un pays) qui partagent des compétences et un appel dans un domaine spécifique, en utilisant les outils du Forum pour établir une confiance mutuelle et guider leur discussion sur la question, peut être un moyen supplémentaire pour le FCM de remplir sa mission.
C’est là que réside la contribution unique que le Forum peut offrir au témoignage des Églises dans le monde sans faire ce qui est déjà fait par les organisations interconfessionnelles mondiales existantes : le témoignage commun de communautés œcuméniques et évangéliques ou pentecôtistes de foi en Christ, qui depuis trop longtemps témoignent en étant séparées les unes des autres, en tant qu’agents de la mission de Dieu, aux niveaux régional, national et local.
Le rôle du comité n’est pas de s’engager dans des actions telles que la prise de position dans des situations qui exigent que la voix de l’Église soit entendue, de faire des déclarations publiques ou de lancer des programmes axés sur des questions particulières. Cela conduirait inévitablement à des malentendus et des tensions, comme le passé l’a enseigné.
Le FCM n’est pas une organisation qui peut parler ou agir au nom d’un groupe de membres. Les Églises et les organisations interconfessionnelles qui se réunissent sous l’inspiration du Forum peuvent le faire, en leur nom commun et par leurs propres moyens de collaboration.
Les défis posés au comité par ses membres plus jeunes doivent devenir effectifs dans les contextes régionaux et nationaux. Le FCM devrait renforcer encore la participation des jeunes en leur permettant et en leur donnant les moyens de s’impliquer pleinement là aussi, aux côtés des responsables d’Églises et d’autres personnes.
Si le comité est capable de mettre en œuvre la vision exposée ici, il sera en soi une puissante manifestation de témoignage commun.
[1] Cet article a été écrit suite à une discussion du comité international lors d’une réunion le 3 sept 2020, et à l’intention des membres de ce comité.
[2] Lorsque le terme « région » ou « régionalement » est mentionné dans ce document, il désigne essentiellement l’Afrique, l’Asie, les Caraïbes et l’Europe, Amérique latine, Moyen-Orient, Amérique du Nord et Pacifique.
[3] Par exemple, l’Inde, l’Indonésie, etc. Il existe heureusement aussi des situations où un rapprochement a eu lieu sans avoir été directement inspiré par le Forum. Le Forum devrait en tenir compte avec gratitude et rechercher une interaction au profit de la cause.
[4] Voir les lignes directrices du deuxième rassemblement international du Forum chrétien mondial, 4-7 octobre 2011, Manado, Indonésie. https://globalchristianforum.org/fr/manado-2011-introduction/lignes-directrices-de-manado-2011/m
[5] Idem
[6] Idem